Homélie prononcée par Mgr Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay, le 14 mai 2017, à Orléans, comme invité religieux pour la Fête de Jeanne d’Arc.
Au cours des onze années passées au Séminaire interdiocésain d’Orléans au service de la formation des futurs prêtres, j’ai peu à peu appris à découvrir combien Jeanne d’Arc, par son courage et sa sainteté, tient une place importante dans la vie du diocèse et de la ville d’Orléans. Aujourd’hui, je suis très heureux d’être parmi vous en cette belle cathédrale et je remercie tout particulièrement Mgr Jacques Blaquart de m’avoir invité, si fraternellement, aux fêtes johanniques.
Il y a deux ans, en arrivant au Puy-en-Velay, cité médiévale dans les montagnes volcaniques, située à des centaines de kilomètres d’Orléans, je ne pensais pas y retrouver la présence vive de Jeanne d’Arc, si ce n’est, comme patronne secondaire de la France, par sa statue présente en bien des églises, manifestant la dévotion que lui portent de nombreux fidèles. Or, juste derrière l’antique cathédrale Notre-Dame du Puy, se trouve une petite rue, très ancienne, nommée « Isabelle Romée », du nom de la mère de Jeanne. Pourquoi une telle rue dans l’enceinte de la cathédrale, pourquoi l’évocation de Jeanne en un tel lieu ? Comment Jeanne a-t-elle partie liée avec la Vierge noire du Puy ?
Permettez-moi de faire un petit détour historique afin de voir la place de Notre-Dame du Puy dans ce temps mouvementé et rude du XVème siècle, détour qui permettra de percevoir l’attachement de Jeanne à la Sainte Vierge.
Charles VII avait une grande dévotion à la Vierge Marie. Plusieurs fois, dès 1420, il se rendit au sanctuaire de Notre-Dame du Puy, pour demander aide et protection dans la situation si difficile que vivait le royaume de France. En 1429, fut célébré au Puy, le Grand Pardon – le Jubilé du Puy – car, cette année-là, coïncidaient, en un même jour, la fête de l’Annonciation et le Vendredi Saint. L’annonce du Jubilé constitua un important événement spirituel et une forte source d’espérance, et de toutes les provinces de France, les fidèles vinrent nombreux prier la Vierge noire au Puy. Le futur roi - sans être présent - et tout le peuple, mirent alors leur espoir dans le secours de Notre-Dame du Puy pour sauver la France.
Jeanne, elle-même, voulut placer sa mission sous la protection de Notre-Dame du Puy, convaincue que la Vierge interviendrait en faveur du pays occupé. Jeanne vénérait tout particulièrement Notre-Dame de l’Annonciation, titulaire de la cathédrale du Puy. Elle avait à ses côtés un fanion représentant la Vierge en ce mystère de l’Annonciation, et sur son étendard étaient écrits les noms de Jésus et de Marie. Etant retenue à Poitiers et ne pouvant se rendre au Puy, Jeanne se fit représenter au jubilé par sa mère, Isabelle Romée, par ses frères Jean et Pierre et par plusieurs chevaliers de son escorte. Jeanne d’Arc voulut donc prier au Puy par l’intermédiaire de ses proches d’où le nom d’Isabelle Romée, donné à la rue près de la cathédrale. Le Jubilé s’acheva début avril 1429. La prière de Jeanne et de tout le peuple fut exaucée : le 29 du même mois, Jeanne entrait dans Orléans et la délivrait totalement le 8 mai. Le 17 juillet de la même année, dans l’octave de la dédicace de Notre-Dame du Puy, Charles VII était enfin couronné. Ce dernier n’oubliera pas et manifestera sa reconnaissance en venant, en 1434, remercier solennellement Notre-Dame du Puy.
L’évocation rapide de ces quelques pages d’histoire nous aide à entrer dans l’expression de la foi très mariale du XVème siècle, mais aussi à percevoir un des traits importants du dynamisme spirituel qui habitait Jeanne : sa confiance en une autre femme, elle aussi toute simple, qui a accueilli pleinement le projet de Dieu sur elle, la Vierge Marie, celle qui nous conduit à Jésus.
Si l’Histoire nous permet de mieux comprendre qui est Jeanne, l’Ecriture – la Parole de Dieu – est la porte la plus sûre pour cerner qui est sainte Jeanne d’Arc. Rappelons-nous que les saints et les saintes sont ces figures que Dieu et l’Eglise nous donnent pour exprimer, chacun et chacune à leur manière, quelque chose d’essentiel de la foi au Christ. Ainsi, les textes de la liturgie de ce jour nous invitent à entrer un peu plus dans l’itinéraire spirituel de Jeanne. Nous voyons combien cet itinéraire résonne, tout simplement et profondément, avec celui de la Vierge Marie.
Dans sa lettre aux fidèles de Corinthe, ville portuaire, fourmillant d’une population d’esclaves et d’ouvriers laborieux, saint Paul rappelle aux chrétiens comment Dieu les a choisis, les a appelés et leur a manifesté son amour : « Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les
sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort. » (1 Co 1, 26-27) Oui, c’est une faible jeune fille, une paysanne toute simple qui, appelée par Dieu, a cherché à répondre pleinement à cet appel et cherchera sans cesse la volonté de Dieu dans ses actions, y compris dans les moments les plus tragiques des batailles ou de son procès.
Il est bien surprenant ce Dieu qui choisit ce qui n’a pas de poids aux yeux de la société, ce qui est faible pour confondre les puissants ! Comment ne pas avoir ici une pensée toute particulière pour François et Jacinthe, les deux bergers de Fatima, canonisés hier par le Pape François ? La Bible et l’histoire de l’Eglise nous montrent sans cesse que la logique et la sagesse de Dieu ne sont pas celles des hommes : quand il s’agit de transformer notre monde en un monde plus juste et plus beau, Dieu a toujours des projets audacieux et Il les réalise souvent avec les petits et les faibles. Derrière le oui de la simple paysanne, de la Pucelle d’Orléans, nous pouvons entendre aussi le chant de joie de Marie : « Le Seigneur s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. […] Déployant la force de son bras, il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. » (Lc 1, 48-53). Ce qu’il y a de faible et de fragile, voilà ce que Dieu choisit pour sauver le monde de tout ce qui le défigure : le pouvoir, l’argent et la toute-puissance du désir humain. Marie et Jeanne, deux femmes, qui incarnent ce choix de Dieu.
Dans l’évangile de ce jour, Jésus dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » (Mt 16,24) Si répondre à l’appel du Christ donne un sens profond à une existence humaine et une vraie plénitude aux actes de chaque jour, le chemin proposé n’est pas un long fleuve tranquille, car nous sommes souvent pris par les divertissements du monde, la recherche de satisfactions personnelles et de reconnaissance sociale. Le Christ nous invite à renoncer à nous-même, ce qui n’est pas un refus de ce que nous sommes avec nos richesses et nos fragilités, mais un appel à un don de nous-mêmes aux autres, au service de tous, au service du bien commun, de la paix, de la justice, du respect des plus faibles. Jeanne n’a pas reculé devant la mission qui lui était confiée. Au combat, ses armes n’étaient pas d’abord celles des soldats mais sa foi, son espérance et sa charité. Jusqu’au bout, elle a affronté la violence, un procès inique
comme celui de Jésus et elle a connu les souffrances d’une mort injuste. Sur le bûcher, elle demanda : « Levez haut la croix du Seigneur, que je puisse la voir. » Pour Jeanne, la croix n’est cependant pas le dernier mot : « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi, la trouvera. » (Mt 16, 25).
Dans ses dernières prières en allant vers le bûcher, Jeanne invoquait Marie. Elle savait que Marie avait levé les yeux vers la croix, alors que son cœur de mère était transpercé par la douleur. Marie, la première, avait suivi son Fils jusqu’au bout... de la croix au tombeau vide et à la joie de la Résurrection. A tous les pèlerins désespérés ou désemparés qui viennent la prier au Puy, Marie présente son Fils, celui qui est ressuscité, celui qui est vivant, celui qui vient rejoindre chaque être humain dans ce qu’il est et ce qu’il vit. Telle était la foi de sainte Jeanne d’Arc. Ses derniers mots : « Jésus, Jésus, Jésus », témoignent de sa confiance et de sa foi en Celui dont Marie disait « Faites tout ce qu’il vous dira. » Jusqu’au bout Jeanne a été fidèle à ce qu’elle avait entendu de la part du Seigneur. Oui, Dieu élève les humbles, renverse les puissants et fait des merveilles ! Frères et Sœurs, en Jeanne, l’Eglise a reconnu une sainte qui nous est donnée aujourd’hui pour vivre le courage de la foi et la force d’aimer. Jeanne, fille bien-aimée de Marie, nous conduit avec la Mère de Dieu, à reconnaître Celui « qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification, rédemption. » (1 Co 1, 31)
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