+ Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay (1er mai 2017)
N’est-il pas le fils du charpentier ? Cette question résonne dans la synagogue de Nazareth où Jésus revient, après des mois de prédication et de marche. Pourtant, ils le connaissent lui, l’enfant du pays. Certes, les rumeurs disent qu’il fait des choses extraordinaires et qu’il parle très bien. Et l’ambiance est contrastée et l’accueil est quelque peu mitigé. Ils savent bien qu’il est le fils de Marie et qu’il est le fils du charpentier. Les gens l’ont connu quand il travaillait avec son père, le charpentier, dans cette ville de Nazareth où il a grandi. Nous savons par l’Évangile que ce charpentier s’appelle Joseph. Mais tout cela ne répond pas à leur curiosité ou à leurs attentes.
Comme en de nombreux endroits de l’Évangile, les contemporains de Jésus s’interrogent : qui est-il donc ? Ainsi, lui demande-t-on : Es-tu Elie ? Es-tu le Messie ? Es-tu roi ? lui demandera même Pilate. Un tel questionnement se comprend : comment accueillir le fait que Jésus est pleinement homme et pleinement Dieu ? C’est une situation où seule la foi peut répondre. Il faudra attendre l’Esprit donné à la Pentecôte pour que ses propres disciples puissent confesser dans la foi que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu.
N’est-il pas le fils du charpentier ? Cette question et cette affirmation soulignent toute l’humanité de Jésus. Quand Dieu se fait homme, il naît dans une famille, dans un lieu, dans un voisinage, il apprend un métier. Dieu ne fait pas semblant en s’incarnant : Dieu vient pleinement partager notre condition humaine. Et Joseph est celui que Dieu appelle au service de ce grand projet, de ce grand mystère : au service de la venue de son propre Fils qui vient habiter parmi nous. Si Marie est appelée par Dieu à accueillir en elle le Fils de Dieu, Joseph, lui, est appelé à offrir à Jésus tout ce que reçoit Joseph, le charpentier a permis à Jésus de grandir dans toute son humanité, dans le quotidien de la vie marquée par le travail, ce travail nécessaire pour vivre, ce travail source de joie mais aussi de peines et de duretés.
un enfant en naissant : l’inscription dans une lignée humaine (celle d’Abraham et de David), un nom, une maison, une famille. Joseph prend soin de la mère et de l’enfant, comme le lui avait demandé l’ange. Oui,
Dans notre confession de foi, nous exprimons le mystère de l’Incarnation, en disant que Jésus a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme, nous n’oublions pas pour autant combien saint Joseph participe à ce grand mystère. La liturgie, suite au Pape Pie XII, définit cette fête du 1er mai comme celle de saint Joseph, artisan et travailleur. Quand nous cherchons à définir ce qu’est l’être humain dans toutes ses dimensions et sa richesse, la dimension du travail est constitutive de l’existence humaine. Il n’y a pas d’humanité véritable sans travail. La Doctrine sociale de l’Église nous rappelle que le travail fait partie intégrante de la condition humaine, bien qu’il ne constitue pas l’unique raison de vivre. Rappelons-nous que saint Paul a lui-même travaillé pour subvenir à ses besoins : il dit se faire « un point d’honneur » à travailler de ses propres mains afin de « n’avoir besoin de personne » (1 Th 4, 11-12) et afin de pratiquer une solidarité, aussi au plan matériel, en partageant les fruits du travail avec « les nécessiteux » (Ep 4, 28).
Dès les débuts du christianisme, les Pères de l’Église – les premiers théologiens – ne considéraient pas le travail comme quelque chose de servile, contrairement à leurs contemporains, mais comme une belle œuvre humaine. Grâce au travail, l’homme prend sa place dans l’œuvre de création et il accomplit de bonnes choses pour lui-même et pour les autres. L’oisiveté nuit à l’homme, tandis que le travail le transforme. Le chrétien est appelé à travailler non seulement pour se procurer du pain, mais aussi par charité envers le prochain plus pauvre, auquel le Seigneur commande de donner à manger, à boire, des vêtements, un accueil, des soins et une compagnie (cf. Mt 25, 35-26). Chaque travailleur, affirme saint Ambroise, est la main du Christ qui continue à créer et à faire du bien. Et nous savons aujourd’hui combien le chômage si important dans bien des pays est une souffrance pour tant de personnes. Il y a quelque chose qui manque à la dignité de la personne quand elle ne peut pas exercer un travail juste et gagner sa vie par elle-même.
Ainsi nous voyons que le grand mouvement – mystère - de l’Incarnation ne laisse rien de côté de ce qui fait la vie humaine. Le Christ, le fils du charpentier, en épousant notre condition humaine a sanctifié le travail humain, reconnaissant sa valeur et son importance. Jean-Paul II (Redemptoris Custos) écrit ainsi : « Si la famille de Nazareth est un exemple et un modèle pour les familles humaines, on peut en dire autant, par analogie, du travail de Jésus aux côtés de Joseph le charpentier. […] Le travail humain, en particulier le travail manuel, prend un accent spécial dans l’Évangile. Il est entré dans le mystère de l’Incarnation en même temps que l’humanité du Fils de Dieu, de même aussi qu’il a été racheté d’une manière particulière. Grâce à son atelier, où il exerçait son métier en
même temps que Jésus, Joseph rendit le travail humain proche du mystère de la Rédemption. » Le travail humain a été sanctifié mais aussi racheté – et nous savons bien combien le travail peut être aussi signe d’exploitation et d’injustice – par le Christ, le fils du charpentier de Nazareth. Cette conviction de foi, dans l’histoire de l’Église, a suscité bien des initiatives pour permettre, en particulier, aux plus pauvres de trouver un travail digne de ce nom.
En cette fête, nous pouvons prier saint Joseph pour ceux et celles qui aujourd’hui cherchent un emploi, pour les responsables sociaux et politiques afin qu’ils œuvrent en faveur de conditions de travail dignes et respectueuses des travailleurs, pour ceux et celles qui prennent des initiatives pour créer des emplois dans un esprit de solidarité et de justice. Confions aussi à saint Joseph chacune de nos familles afin qu’il nous garde dans la confiance et dans la paix comme il l’a fait pour Jésus et Marie. Confions enfin notre pays à saint Joseph, artisan, pour que se lèvent sans cesse en France des artisans de paix, de justice et de fraternité.
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