- Un remède pour le corps et l’esprit
Il y a un lien réel entre le corps et l’esprit. Quand le corps s’épaissit trop, l’esprit devient épais lui aussi. La santé physique et spirituelle constitue une unité. Or le jeûne corporel opère une élimination des substances toxiques. C’est pourquoi beaucoup de sagesses médicales anciennes recommandent de jeûner pour guérir.
Le remède pour le corps est en même temps un remède pour l’esprit. Car nous n’avons pas seulement un corps : nous sommes notre corps, qui interagit sur notre santé spirituelle, qui parle pour nous, nous met en relation ? En refusant de se laisser toujours gaver de nourriture, le jeûne nous empresse de satisfaire notre désir ailleurs, auprès des êtres humains ou des beautés de ce monde. Il nous garde de toute précipitation à couvrir nos blessures, à les remplir de compensations. Jeûner oblige à chercher la vraie relation à l’autre.
Vis-à-vis de Dieu, le jeûne nous fait sentir physiquement que Dieu est autre, qu’il n’est pas à consommer. Je ne peux mettre la main sur lui comme sur un aliment. Nous sommes en route vers Dieu, et Dieu seul peut aiguiser notre faim vers une humanité plus profonde. « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » : comment me le rappeler si l’abondance de pain me masque les autres faims qui sont en moi ?
2. Une lutte contre les tentations
Un moine écrivait : « Quand un roi vient prendre une ville ennemie, il s’empare d’abord de l’eau dont il coupe l’adduction, et une fois qu’elle est affamée, elle se soumet. Il en va ainsi des désirs de la chair. Quand un moine part en campagne en jeûnant et en se mettant à la diète, les ennemis sont désarmés contre son âme ».
La seule guerre sainte est celle contre les mauvaises habitudes, les lâchetés, les négligences, les manques d’amour qui se sont installés dans ma vie, et qui se manifestent dans les tentations de tous ordres.
Qui peut dire qu’il n’est jamais tenté ? Tenté de dire du mal, d’être infidèle, de se replier sur soi, de tout abandonner ? Chacun peut avec courage faire sa propre liste en identifiant les tentations qui le menacent. Le Christ lui-même n’a pas refusé d’être tenté au désert. Jeûner est un combat, pour lutter contre les inévitables tentations de la vie, et nous aider à rechoisir le Christ, rechoisir d’avoir faim et soif de lui plus que des choses.
3. Une démarche de prière
Le jeûne intensifie la prière. Dans l’expérience de faiblesse corporelle qu’est la faim, il nous fait sentir avec tout notre être que nous ne pouvons nous appuyer sur nos seules forces : le jeûne nous invite à nous tourner vers Dieu, à compter sur lui d’abord.
St Bernard disait : « Le jeûne encourage l’oraison et la rend ardente. L’oraison obtient la force de jeûner, et le jeûne confère la grâce de prier. Le jeûne renforce l’oraison, l’oraison renforce le jeûne et la présence au Seigneur ».
On prie mal avec le ventre plein, car l’oraison prend alors l’aspect d’autosuffisance. Les moines le savent, et se lèvent dans le jeûne de la nuit pour veiller en présence de Dieu. Jeûner et attendre la venue de Dieu vont ensemble.
4. Une voie d’illumination
La Didachè invitait les chrétiens des premiers siècles à jeûner pour leurs persécuteurs par ces mots de l’Ecriture : « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis et jeûnez ‘‘pour ceux qui vous persécutent ; car si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Même les païens n’en font-ils pas autant ? Mais vous, aimez ceux qui vous haïssent’’, et vous n’aurez pas d’ennemi (cf. Mt. 5, 44-47 ; Lc 6, 27s, 32) ». C’est dire que, dans le jeûne et la prière, les persécuteurs apparaissent autrement : enfants de Dieu, pour qui le Christ est mort, et pas seulement bourreaux.
Jeûner ouvre les yeux sur une autre manière de voir les êtres et les choses. L’estomac toujours plein est dans l’impossibilité de voir les choses secrètes ; le jeûne familiarise avec Dieu, avec les manières de Dieu, avec son regard sur les êtres humains et sur le monde.
Le jeûne aiguise les sens, il augmente le goût de Dieu, il nous conduit à l’espérance du royaume de Dieu en nous, il nous fait participer dès ici-bas à la vie nouvelle de la résurrection qui n’est plus sous le mode de la consommation mais de la communion.
Un remède pour le corps et l’esprit, une lutte contre les tentations, une démarche de prière, une voie d’illumination : le Carême est d’abord un jeûne réel, un jeûne du corps et de l’esprit. En écoutant mieux notre corps, il nous aide à mieux écouter Dieu lui-même : nous reconnaissons avec et en notre corps que nous le désirons plus que tout, que sans lui nous sommes vides, que nous dépendons de sa grâce, que nous vivons de son amour, et que notre vraie faim ne peut s’apaiser par des aliments terrestres.
[i] Anselm Grün, Le jeûne. Prier avec le corps et l’esprit, Ed. Médiaspaul, 1997.
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