Allocution aux autorités civiles
Allocution aux autorités civiles, prononcée par Mgr Luc Crepy, évêque du Puy, à l’évêché du Puy, le 15 août 2017, lors des fêtes de l’Assomption.
Eminence, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames et Messieurs les Autorités civiles et militaires, chers amis,
Je vous remercie très chaleureusement d’avoir répondu à mon invitation et d’être présents aujourd’hui à l’évêché pour ce temps convivial à l’occasion de la fête de l’Assomption. Je saisis cette occasion pour exprimer ma vive reconnaissance à tous ceux qui, chaque année, œuvrent avec dévouement et compétence pour que ces fêtes mariales se déroulent dans de bonnes conditions. Je remercie en particulier Monsieur Eric Maire, Préfet de Haute-Loire, et Monsieur Michel Chapuis, Maire du Puy, ainsi que leurs services, pour leur aide et leur soutien si efficaces. Je remercie aussi tous les bénévoles qui apportent leur concours au service de la cathédrale, des processions et des diverses activités de ce temps de célébration et de fête.
Je tiens à exprimer ma vive reconnaissance au Cardinal Paul Poupard, Président émérite du Conseil pontifical de la culture et du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, qui nous fait la grande joie et l’honneur de venir de Rome pour présider cette fête de l’Assomption, mais aussi dimanche dernier, le cinquantième anniversaire de la canonisation du « saint Frère Bénilde » à Saugues.
Je garde la tradition de mon prédécesseur, Mgr Henri Brincard, d’adresser la parole à ses invités, tout
particulièrement aux autorités civiles, chaque année, lors des fêtes mariales. Je me permets modestement, à partir de l’actualité récente, de vous partager quelques éléments de réflexion qui intéressent tant la société civile que l’Eglise catholique et manifestent notre souci commun d’œuvrer au service de tous, dans le respect mutuel des responsabilités de chacun et la volonté de travailler à un « vivre ensemble » toujours plus juste et fraternel. Cette année, je me permets d’aborder une question importante pour la Haute-Loire, celle de la ruralité ; et comme évêque, bien sûr, la question de la vie de l’Eglise catholique et de ses communautés dans nos territoires ruraux.
La Ruralité : des questions urgentes et importantes pour l’Eglise
La longue campagne électorale que nous avons vécue au cours des derniers mois a montré, à travers les analyses et les propos des candidats des divers partis, l’importance de la ruralité dans notre paysage politique français et les grands défis à relever. Aux dires de beaucoup, il est urgent que s’organise une pensée régulatrice entre la prépondérance des villes érigées en métropoles et les territoires ruraux. Les ressources économiques des premières ne doivent pas occulter les capacités des seconds à créer ou à maintenir des biens d’un autre type, nécessaires et profitables à tous, comme le respect de la nature, de la terre, du patrimoine, d’un certain mode de vie, autant d’éléments qui font également la richesse de notre pays. La question de la ruralité se pose ainsi de manière urgente et nécessaire.
L’an dernier, je vous faisais part de mes visites pastorales dans l’ensemble du diocèse. Ces visites m’avaient permis d’acquérir une première vision de la Haute-Loire, mais aussi de la vie des paroisses dans leur diversité, leur richesse et parfois leur pauvreté. De ce voyage à travers notre beau département, j’avais retenu un mot, celui de « proximité ». Comment l’Eglise peut-elle rester proche de tous ? Comment dans des situations de désertification, de crise agricole et d’interrogations sur la place de la ruralité dans notre pays, retrouver du sens, de l’énergie, de la joie de vivre ? Comment, dans un contexte de diminution des vocations et du nombre de prêtres et de religieuses, les
communautés chrétiennes peuvent-elles rester proches de tous et ne pas se limiter aux communes les plus importantes ? Alors que dans bon nombre de communes rurales, la présence des services publics et des commerces diminue ou même disparaît, quelle est et quelle sera la présence de l’Eglise ? Quelle contribution les communautés chrétiennes peuvent-elles apporter à ce grand mouvement actuel pour penser et vivre la ruralité d’une manière nouvelle ? La vie de l’Eglise ne se situe pas hors du monde mais au cœur même de la société. Pour les chrétiens la cité de Dieu se construit dans la cité des hommes.
Les quatre diocèses d’Auvergne – l’Allier, le Cantal, le Puy-de-Dôme et la Haute-Loire – ont mené au cours de cette année une réflexion commune sur la place de l’Eglise catholique en milieu rural, milieu majoritairement constitutif de nos diocèses. Cette réflexion – modeste mais utile – a permis aux évêques et, bien sûr plus largement, à un certain nombre de chrétiens de s’interroger sur la prise en compte de la spécificité de la ruralité ici en Auvergne dans nos projets pastoraux, dans l’animation des communautés paroissiales et dans la visibilité et la présence de l’Eglise auprès de tous. Dans les mois prochains, une lettre pastorale des évêques sera publiée et offrira à tous les conclusions de cette réflexion mais aussi des pistes pour envisager l’avenir. Je voudrais ce matin évoquer déjà avec vous quelques éléments de réflexion.
Ouvrir des chemins d’avenir et de fraternité
Bien qu’au cours des dernières décennies, le monde rural ait vécu de profondes mutations tant
techniques que culturelles, il se distingue cependant toujours, pour une part, des villes et de leurs banlieues. Le fait ou le choix de « vivre à la campagne », que l’on soit agriculteur ou non, privilégie des rythmes plus accordés à la nature, un cadre de vie sans doute moins sollicité par une trop large palette d’activités, des réseaux de relations plus courtes et plus simples, un mode de vie moins soumis au « divertissement » du monde, comme dirait Pascal. Ce mode de vie nous aide à être moins pris par un tourbillon de choses, et nous met plus en prise avec la réalité et face à nous-mêmes. Ces brèves considérations ne cherchent nullement à occulter les nombreuses et dramatiques situations de détresse ou de pauvreté rencontrées aujourd’hui dans le rural (suicides, endettement des agriculteurs, isolement, sentiment d’abandon, précarité…). Cependant, en bien des endroits, la société rurale présente des aspirations qui rejoignent les ressources traditionnelles de la vie chrétienne : authenticité, stabilité, solidarité, intériorité et, aujourd’hui sans doute plus qu’hier, respect de la Création, à la suite du pape François. Ces valeurs « traditionnelles » constituent un terreau où proposition de la foi et quête d’une vie heureuse et sensée se rencontrent.
Dans le monde agricole comme dans le monde rural – qu’il faut distinguer sans les séparer -, la conscience des menaces, qui pèsent sur l’environnement naturel et humain, stimule la réflexion. Ainsi, est-il intéressant de constater, en bien des lieux dans « nos campagnes », les nombreuses initiatives – certes modestes et limitées – qui fleurissent pour répondre aux défis du respect de l’environnement, de la solidarité, de la juste répartition des fruits du travail. Ils sont, d’une certaine manière, des gages d’avenir pour un vivre ensemble renouvelé. Et osons aller plus loin, ce mouvement perceptible dans notre département comme en bien d’autres endroits, n’est-il pas une expression de la fraternité ? La fraternité n’est jamais donnée, elle est sans cesse à construire, elle émerge progressivement. Elle peut être motrice de renouveau et d’espérance dans notre société, si elle veut être fidèle à sa devise républicaine. Mise en œuvre par des hommes et femmes de bonne volonté – et je suis souvent témoin du travail remarquable que font beaucoup d’élus sur le terrain -, cette fraternité trace l’horizon – jamais atteint – d’une société réconciliée où tous les hommes apprennent à se reconnaître frères, que ce soit en humanité, comme en Christ [1] . Permettez-moi de citer les mots si évocateurs du pape François invitant à vivre « une fraternité mystique, contemplative, qui sait regarder la grandeur sacrée du prochain, découvrir Dieu en chaque être humain, qui sait supporter les désagréments du vivre-ensemble en s’accrochant à l’amour de Dieu, qui sait ouvrir le cœur à l’amour divin pour chercher le bonheur des autres comme le fait leur Père qui est bon. [2] »
Nous touchons du doigt très précisément ce que le pape François souligne dans son encyclique – devenue aujourd’hui une référence pour beaucoup, qu’ils soient croyants ou non – lorsqu’il parle « d’écologie intégrale » : « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature. [3] » La question sociale, la question économique et la question environnementale sont intimement liées. Et le pape de souligner combien les initiatives simples de tous sont source de renouveau : « La créativité et la générosité sont admirables de la part de personnes comme de groupes qui sont capables de transcender les limites de l’environnement, en modifiant les effets négatifs des conditionnements et en apprenant à orienter leur vie au milieu du désordre et de la précarité. [4] » Le monde rural est un des lieux privilégiés où naissent ces expériences simples et porteuses d’avenir qui conjuguent une dimension économique, sociale et environnementale et sont d’une certaine manière des gages d’avenir pour un vivre-ensemble renouvelé.
Pour les chrétiens qui aiment à œuvrer avec les hommes et les femmes de bonne volonté, comme le rappelle souvent la Doctrine sociale de l’Eglise, il y a beaucoup de convergence entre la proposition de vie évangélique et les énergies spirituelles et caritatives mises à l’œuvre aujourd’hui pour redonner à la ruralité toute sa valeur et sa dignité. Les difficultés que les uns et les autres rencontrent pour créer plus de proximité dans tous les domaines peuvent devenir une source d’initiatives nouvelles pour tous.
Quel visage et quelle proximité de l’Eglise dans les territoires ruraux ?
Une telle question demanderait de longs développements que je ne souhaite pas faire ici. Mais il est bon de poser cette question car elle exprime bien le travail et la réflexion des prêtres et des laïcs pour la vie de notre Eglise diocésaine, ici en Haute-Loire. Je voudrais juste évoquer quelques éléments.
Bien que toute la vie de l’Eglise ne s’y réduise pas, la paroisse est une réalité actuellement en pleine évolution dans le monde rural. Bien sûr, elle est liée à un territoire mais, de plus en plus, elle n’est plus centrée sur un seul clocher et se déploie sur un territoire « intercommunal » (l’Eglise a inventé l’intercommunalité dans beaucoup de diocèses bien avant la société civile !). C’est un nouvel espace où les modalités de célébrations, de catéchisation, d’évangélisation changent mais avec le souci d’une pastorale qui cherche à être missionnaire c’est-à-dire qui va à la rencontre des gens et se vit dans la proximité des personnes. Ceci nécessite de nouvelles manières de vivre pour les communautés chrétiennes avec des centres paroissiaux, des petites communautés locales, des veilleurs (personnes-références dans une commune). Comme le rappelle souvent le pape François : le temps est plus important que l’espace [5]. Donner la priorité au temps, ce n’est pas quadriller le territoire, mais susciter des initiatives pastorales ici et là, des dynamismes nouveaux dans telle ou telle communauté, des expériences locales où tous pourront lire la proximité de l’Eglise.
Les prêtres, moins nombreux aujourd’hui, jouent un rôle important dans ces nouvelles modalités pastorales. Parce qu’ils sont les pasteurs de tous, à la suite du Christ Bon Pasteur, ils sont eux-mêmes invités à s’interroger sur la manière de vivre leur ministère. Ainsi à la rentrée prochaine, sera réfléchie la question de petites équipes missionnaires regroupant quelques prêtres, qui, à partir d’un pôle de vie commune, pourront exercer leur ministère - parfois même de manière quelque peu itinérante - sur tout un territoire. D’autres formes sont aussi possibles et à inventer. L’important est que le visage de l’Eglise en monde rural ne paraisse pas lointain et inaccessible, mais qu’il soit un visage proche de tous.
A ce propos, je terminerai par l’appel que le pape François a lancé dans ce grand et beau texte « La joie de l’Evangile » (2013). Il invite tous les baptisés à devenir des « disciples-missionnaires ». C’est un vocabulaire qui sonne de manière nouvelle à nos oreilles européennes, car ce sont des termes qui proviennent des Eglises d’Amérique Latine. Et pourtant, ils consonnent bien avec tout ce que nous venons d’évoquer dans cette réflexion et avec ce souci d’accueillir le monde rural comme une chance et un défi pour l’Eglise et pour la société. « Disciples-missionnaires » signifie qu’à la suite du Christ, les baptisés sont envoyés pour porter témoignage de la bonne nouvelle de l’Evangile. C’est donc une Eglise en mouvement, ouverte au monde et proche de tous que dessine le pape François. Finalement, la notion de « proximité » que j’évoquais en commençant – une Eglise qui n’abandonne personne même au plus profond des territoires ruraux – s’inscrit dans cette perspective. Si la société civile a aujourd’hui à cœur d’œuvrer pour un renouveau des territoires ruraux, dans sa foi, l’Eglise a, elle aussi, à cœur d’apporter sa charité et son espérance au plus près de tous, dans nos villages et campagnes de Haute-Loire.
Chers amis, puissions-nous tous contribuer, modestement mais sûrement, au bien commun et à un monde plus juste et plus beau. C’est ce vivre-ensemble renouvelé que nous confions dans notre prière, à Notre-Dame du Puy, mère de l’unité. Je vous remercie de votre attention.
Je souhaite à chacun de vous, une heureuse et belle fête de l’Assomption !
Notes
[1] 1 Cf. Gracineau G., Barrère J.J., L’avenir des territoires ruraux. Des chrétiens s’interrogent, 2016, https://www.ruralite-terrenouvelle.com
[2] 2 Pape François, La joie de l’Evangile, 2013, §92.
[3] 3 Pape François, Laudato Si’, 2015, §139.
[4] 4 Idem, § 148.
[5] 5 Idem, § 148
Images: zoomdici.fr - leveil.fr
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