La Méditation du mercredi des Cendres
Luc Crépy
Évêque du Puy-en-Velay
L'Année de la miséricorde donne une tonalité - Una coloration - toute particulière aux quarante jours de Carême qui s'ouvrent en ce mercredi des Cendres, Comment notre démarche de Carême, en ce temps jubilaire, peut-elle mous permettre de mieux percevoir la miséricorde de Dieu et de vivre plus profondément en hommes et femmes miséricordieux? Le Carême 2016 est une heureuse opportunité pour prendre plus conscience de la richesse de la « miséricorde » et de ses enjeux dans le concret de la vie chrétienne.
Rappelons-nous d'abord que la Carême n'est pas ce temps triste et gris qui parfois démiurge dans les esprits chagrins. Le Carême est un temps privilégié pour vivre la jolie de l'Evangile et faire mentir l'expression « face de Carême » ! Bien sûr la conversion et la pénitence ne sont pas choses faciles, mais nous savons qu'elles conduisent à un plus grand accueil de l'amour de Dieu - « Dieu, riche en miséricorde » (Ep 2,4) - et à une pratique concrète et quotidienne de l'amour du prochain. Quand nous acceptons dé prendre ainsi ce chemin de dépouillement et de remise en question, notre foi devient source de joie profonde car elle nous recentre sur le chemin que le Christ a parcouru jusqu'a la Croix et la Résurrection : « La miséricorde, c'est l'acte ultime et suprême par lequel Dieu vient á notre rencontre », déclare le pape François dans Miséricordieux vultus (MV n.2).
Pour ouvrir le Carême, l'Évangile de Matthieu (Mr 6) nous invite à pratiquer l'aumône, la prière et le jeûne. Pour mettre en œuvre ces trois attitudes et les inscrire dans le dynamisme même de cette année de renouveau personnel et communautaire, la miséricorde est une belle et originale porte d'entrée. : « une porte jubilaire »: « Il y a des moments où nous sommes appelés de façon encore plus pressante, à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l'agir du Père » (MV n. 3). Assurément, ce Carême fait partie de ces moments « pressants » pour rechercher - dans le secret de nos cœurs - la volonté du Père miséricordieux.
« Bienheureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde » (MT 5,7). Parmi les œuvres de miséricorde, la pratique de l'aumône nous invite á vivre les Béatitudes de manière nouvelle, inventive, attentive aux besoins de notre temps. Dans l'attention aux exclus, la miséricorde chrétienne rejoint le cœur de la foi: rencontrer le Christ dans les plus petits: « Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est á mot que vous l'avez fait » (Mt 25, 40 et 45).
L'identification du Christ avec les pauvres passe par la rencontre personnelle: l'aumône est une « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6,3) - de vivre une solidarité et une entraide avec celui qui est dans le besoin, ici et là au hasard des rencontres. Mais l'aumône nous engage aussi á devenir plus conscients des processus économiques et politiques qui empêchent de faire de notre Terre une « maison commune » pour toute l'humanité.
manière concrète et discrète -
« Prie ton Père qui est présent dans le secret » (Mt 6, 18). Qui donc est ce Père que nous prions avec les mots que Jésus lui-même nous a enseignés ? Comment connaitre ce Père, si ce n'est en écoutant ce que le Christ nous révèle de Lui ? « Manifester le Père comme amour et miséricorde c'est, dans la conscience du Christ lui-même, exprimer la vérité fondamentale de sa mission de Messie (1). » Impossible de prier le Père sans reconnaître fondamentalement sa miséricorde qui pardonne, qui relève, qui rend la vie. La miséricorde est ce que nous pouvons connaître de Dieu: « La miséricorde est l'expression de l'etre même de Dieu qui est amour (1 Jn 4,8.16) ; elle est en quelque sorte sa face visible et efficiente ; elle exprime l'etre de Dieu qui se penche avec bienveillance sur les hommes et sur le monde (2). » Renouveler notre prière pendant le temps de Carême, c'est « se retirer dans la pièce la plus retirée » (Mt 6,6) pour contempler combien est grande la miséricorde du Père pour nous et pour le monde.
Enfin, le temps de Carême est un temps propice au jeûne. C'est déjà apprendre la sobriété, si nécessaire à la sauvegarde et au partage des richesses naturelles, et si libératrice par la limite de nos besoins et par l'ouverture aux autres, Apprendre à se départir du superflu, apprendre à se nourrir de l'essentiel. « ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l'Évangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine » (Mv n.15). Aumône, prière et jeûne tracent un même chemin de conversion pour témoigner de « la miséricorde de Dieu, cœur battant de l'Évangile » (Mv n, 12).
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(1) Jean Paul II, Dives in misericordia, 1980, n,3.
(2) Walter Kaiper, La Miséricorde. Notton fondamentale de l'Évangile. Clé de la vie chrétienne, E. des Béatitudes, 2015, p, 94.
La Croix 10 février 2016
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