19 mai 2016 -Fête de saint Yves, patron du séminaire de Rennes.
Eglise Notre Dame à Vitré
Lc 12, 32-34 : Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, là où le voleur n’approche pas, où la mite ne détruit pas. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur.
Qu’il est bon d’être disciples de Jésus ! Personne ne parle comme lui, personne n’ose comme lui des paroles directes, fortes, efficaces. Il nous est bon de nous mettre chaque jour à l’écoute de sa parole, car notre intelligence et notre cœur savent qu’il dit vrai. Le Seigneur est bon car il nous indique clairement la direction à prendre pour vivre pleinement, non pas vivre à moitié, ni à temps partiel seulement, mais vivre en plénitude. Nous avons l’intuition que nous sommes faits pour cela, et c’est ce qui intéresse notre Dieu : nous donner la vie en abondance (cf. Jn 10,10), que tout notre être trouve son accomplissement, « fonctionne à plein régime » ! Ce désir est inscrit en nous, dans tout notre être, corps et âme.
Cette vie en plénitude l’Ecriture appelle cela le Royaume. Ce mot ne désigne pas un lieu ou une possession matérielle, mais le Royaume désigne la plénitude de vie que Dieu veut donner aux hommes. On l’appelle le Royaume de Dieu ou le Règne de Dieu, pour dire que cette plénitude de vie est le fruit de la relation que nous avons avec Dieu, car où Dieu règne, la vie triomphe ! C’est bien ce que nous venons de célébrer à Pâques : la mort n’a pas le dernier mot, mais bien la puissance de vie qui s’est manifesté dans la résurrection de Jésus d’entre les morts.
Et voilà que Jésus nous adresse cette parole : « votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume ». Il veut nous donner ce qui est le plus grand, le meilleur, le Royaume de Dieu, celui qui justement est source, lui qui est Père. Alors, pourquoi attendre ? Pourquoi faire petit quand on peut faire plus grand ? Pourquoi s’attacher à du périssable, du partiel, du provisoire alors que l’éternel, le total, le plein nous est donné ?
Jésus en fin connaisseur de la nature humaine sait que nous investissons toute notre attention et toute notre énergie pour ce qui compte le plus pour nous, ce qu’il appelle dans ce passage notre « trésor ». C’est ce qui a le plus de prix à nos yeux. Et nous mettons effectivement notre cœur, nous mettons du cœur à l’ouvrage pour ce qui vaut le coup. Quand il nous dit « là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur », il constate et du coup il nous interroge : quel est donc ton trésor ? Qu’est-ce qui pour toi a le plus de valeur ? Car il sait que nous allons investir notre énergie là où est notre trésor.
Aussi, il nous fait faire un double déplacement :
- Regarde le don de Dieu comme le trésor de ta vie, comme ce qui a le plus de valeur, ce qui est même « inépuisable » ? Regarde : le reste, tu peux le perdre parce qu’on te le vole ou parce qu’il se dégrade comme tout ce qui est créé. Est-ce qu’on peut sérieusement construire un château avec de la glace lorsque l’on sait que le printemps arrive ? Or, bien des choses sont de cet ordre, et le trésor disparaît et le cœur se rétrécit, et il goûte avec amertume à la perte de ses illusions. Le Seigneur Jésus nous sauve de ce fiasco et nous éclaire pour savoir enfin quelle est la bonne direction, quel est le sens : mets ta foi dans le Seigneur, fais grandir sa vie avec Dieu, et tu ne seras jamais déçu.
- Nous sommes tous dans une opération de transfert de trésor : passer du trésor illusoire de ce que nous possédons au trésor du Royaume, de la relation avec Dieu. Jésus nous indique comment faire ce passage : « Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône ». Quel secret nous est révélé là : nous recevons le Royaume du Père en servant nos frères ! C’est génial : pour recevoir le trésor de Dieu, donne ce que tu as et ce que tu es. Il est clair que les deux démarches sont liées : ouvrir les mains et lâcher pour mieux accueillir le don de Dieu. Jésus le dit autrement : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent » (Mt 6,24). Il y a bien parfois des hésitations comme les idolâtres du temps du prophète Elie : « Combien de temps allez-vous danser pour l’un et pour l’autre ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez le Seigneur ; si c’est Baal, suivez Baal » (1 R 18,21).
Ce qui peut nous décider pour le trésor du Royaume, c’est de mieux comprendre ce qu’est le trésor de Dieu, le Royaume de Dieu, la vie avec Dieu. Si cela nous apparaît inodore, incolore et sans saveur, alors notre cœur n’est pas près à changer de trésor ! Ici le témoignage de la vie des témoins du Christ est essentiel pour mieux percevoir le trésor, pour voir dans leur vie l’éclat de ce trésor sans équivalent. C’est aujourd’hui l’exemple de saint Yves, et avant lui et après lui tant de Saints et de Saintes qui ont pris au sérieux la Parole de Jésus et n’ont pas été déçus ! C’est ce que bien des disciples de Jésus vivent aujourd’hui, dans des formes multiples quand nous voulons bien ouvrir les yeux : l’accueil des réfugiés, la visite de malades, le service quotidien de personnes en situation de précarité ou de handicap. C’est aussi l’engagement politique, dans la cité, la forme la plus haute de la charité selon saint Jean Paul II, la manière d’éduquer, d’enseigner, d’accompagner les plus jeunes. C’est dans la famille les humbles services du quotidien.
Dans tous les cas, il faut sortir de soi pour aller vers autrui. Saint Paul le dit de manière limpide pendant ses adieux aux Chrétiens de Millet en Grèce : « En toutes choses, je vous ai montré qu’en se donnant ainsi de la peine, il faut secourir les faibles et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus, car lui-même a dit : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35). C’est encore la fameuse prière de saint François d’Assise : Ô Maître, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer, car c’est en donnant qu’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on trouve, c’est en pardonnant qu’on est pardonné, c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie. » St Yves était membre du tiers-ordre franciscain, vivant l’appel à la pauvreté volontaire au cœur de l’expérience de saint François.
Tous les disciples sont appelés comme disciples à vivre les Evangiles. L’appel de Dieu résonne : il nous donne son Royaume, alors sans hésiter donnons-lui tout notre bien ! Il y a bien des manières de répondre, mais ce qui compte c’est de répondre, chacun là où il en est. On ne peut pas vraiment être en paix avec l’Evangile, comme s’il était aseptisé. Le texte du Siracide ne peut nous laisser dans l’indifférence. C’est le grand risque que nous pouvons courir : que l’Evangile soit finalement indolore, ne perçant pas le vernis de nos habitudes ou ne parvenant pas à se faire entendre dans le brouhaha des distractions. Le Pape François vient secouer nos somnolences en dénonçant la mondialisation de l’indifférence, il y a 3 ans à Lampédusa, oui déjà 3 ans… La mondialisation de l’indifférence nous a ôté notre capacité de pleurer ! (…). Nous te demandons pardon pour ceux qui se sont habitués, se sont fermés dans leur bien-être qui entraine l’anesthésie du cœur. »
Que par l’intercession de saint Yves nous tous percevions la beauté du trésor que Dieu a choisi de nous donner, en tant que disciples-missionnaires, mariés, célibataires ou consacrés. Que nous puissions nous édifier les uns et les autres pour chaque jour choisir le trésor de Dieu.
Que saint Yves ouvre les cœurs pour que beaucoup choisissent de servir l’Evangile comme lui, prêtre au service de ses frères, religieux et religieuses témoins du trésor du Royaume. Lors de notre pèlerinage à Rome, Mgr Patron Wong, secrétaire de la Congrégation pour le clergé chargé des séminaires a dit une parole très forte pour les séminaristes : vous êtes la réponse de Dieu à la crise que traverse l’Eglise en France. Alors, certainement, parmi nous se trouvent d’autres réponses de Dieu, ici, et dans nos paroisses, et dans nos divers groupes. Que le Seigneur les bénisse et leur donne la force de répondre de grand cœur et avec ardeur, corde magno et animo volenti selon la formule bien souvent utilisée par de saint Jean Eudes pour exhorter ses frères.
Amen.
P. Jean-Michel Amouriaux
Recteur du séminaire Saint-Yves