Dans le parcours de l’histoire de la cathédrale de Coutances, qui nous avait rassemblés en 20091 une étape particulière m’avait semblé digne de retenir notre attention : la rencontre au beau milieu du XVII° siècle de
deux grandes figures spirituelles de Normandie, deux figures qui ont marqué aussi bien la ville que le diocèse de Coutances, je veux parler de Marie des Vallées, la « sainte de Coutances » et saint Jean Eudes. Leurs rencontres se situent ici de 1641, jusqu’à la mort de la Sœur Marie en 1656. Un historien contemporain, spécialiste de Bossuet et de Fénelon, Jacques Le Brun écrit à ce propos :
« Il a souvent été remarqué que les mystiques et les spirituels catholiques de l’époque moderne constituaient avec ceux qui les dirigeaient des sortes de « couples » aux fonctions différenciées : la femme mystique vivrait une expérience que son directeur spirituel, un clerc, un homme possédant un statut officiel dans l’institution ecclésiastique, jugerait selon les principes de la théologie et les règles de la discipline de l’Eglise ; lui-même, dépourvu de l’expérience mystique, exercerait un rôle de contrôle et d’autorisation, souvent fasciné par les phénomènes dont il serait le témoin ou méfiant devant des discours ou des actes que la doctrine ne lui donnerait les moyens d’apprécier qu’approximativement ; deux discours s’élaboreraient ainsi, celui de la mystique autorisé par une expérience irréductible, celui du maître ou du docteur autorisé par la science théologique et les enseignements de la tradition. Ainsi François de Sales et Jeanne de Chantal, Olier et Agnès de Langeac, Jean Eudes et Marie des Vallées, Bossuet et Mme Cornuau, Fénelon et Mme Guyon, et bien d’autres moins connus, formeraient des couples inégaux dans lesquels, pour reprendre une terminologie dionysienne encore vivante au XVII° siècle, une hiérarchie d’inspiration et une hiérarchie de juridiction s’articuleraient entre elles, l’apparente supériorité institutionnelle de la seconde recouvrant la réelle supériorité de la première dans l’ordre de l’effusion de l’Esprit. Il y a là un schéma devenu pour l’historien un lieu commun, comme si le retournement ou la subversion de l’ordre institutionnel constituait une suffisante garantie de fidélité à un ordre originaire ou primitif, à un ordre caché, c’est-à-dire « mystique ». C’est l’évidence de cette inversion des rôles que nous voudrions ici mettre en question, et cela à propos d’un des exemples les plus connus, celui de Fénelon et de Mme Guyon. Et il nous est apparu que seul l’examen minutieux des textes permettrait une explicitation exacte des rôles de chacun des deux protagonistes (dans l’élaboration de la théorie du pur amour à la fin du XVII° siècle) »2 .
Le travail accompli par J. Le Brun pour Fénelon et Madame Guyon est à entreprendre aujourd’hui, avec les ressources nouvelles, pour l’évaluation des relations entre saint Jean Eudes et Marie des Vallées.
1 Colloque de Cerisy, La Cathédrale de Coutances, Art et Histoire, Françoise LATY, Pierre BOUET et Gilles DESIRE DIT GOSSET dir., Colloques du Département de la Manche, 4, Orep éditions, Bayeux 2012.
2 Jacques LE BRUN, Le Pur Amour, De Platon à Lacan, Ed. du Seuil, Paris 2002, p. 131.
Le Père Eudes (1601-1680) prêtre de l’Oratoire de Jésus du P. de Bérulle depuis le 20 décembre 1625 avait participé à des missions faites en 1632 dans le diocèse de Coutances3 . « A trente et un ans, le voici engagé dans la vie missionnaire qu’il mènera presque sans discontinuer pendant quarante cinq ans. Il la commence dans ce diocèse de Coutances qui sera le champ privilégié de son ministère : il y donnera quarante huit missions », note son dernier biographe4. En 1641, il revient au diocèse de Coutances, à Remilly puis Landelles. A la fin de sa vie, il écrit dans son journal spirituel, le Memoriale beneficiorum Dei, : « L’an 1641, je fis cinq missions toutes pleines de bénédictions très grandes… La quatrième à Coutances, que M. Le Pileur, grand vicaire de Mgr de Matignon évêque de Coutances procura et défraya…En cette même année 1641, au mois d’août, Dieu me fit une des plus grandes faveurs que j’aie jamais reçues de son infinie bonté, car ce fut en ce temps que j’eus le bonheur de commencer à connaître la sœur Marie des Vallées, par laquelle sa divine majesté m’a fait un très grand nombre de grâces très signalées. Après Dieu, j’ai l’obligation de cette faveur à la Très Sainte Vierge, ma très Honorée Dame et ma très chère Mère, dont je ne pourrais jamais assez la remercier »5. Marie des Vallées, née en 1590 à St Sauveur-Lendelin, a alors cinquante et un ans. Le P. Eudes est de dix ans son cadet. Depuis l’âge de 19 ans elle se considérait – et on la considérait - comme possédée du démon. « Elle avait de fait un comportement déconcertant, mangeant à peine, se livrant à des gestes spectaculaires, souffrant d’inhibitions incroyables…et en même temps, elle rayonnait une étrange paix, et parlait avec une sagesse jaillie de quelles profondeurs ?», remarque Paul Milcent6. Accueillie dès 1612 par Mgr de Briroy, évêque de Coutances, logée dans l’aumônerie du manoir épiscopal jouxtant la cathédrale, soumise à des exorcismes, elle devint pour de longues années servante auprès de deux prêtres. En 1641, l’évêque de Coutances, Léonor de Matignon, désemparé devant le cas de Marie des Vallées, la confia à Jean Eudes. « Bien qu’elle eût déjà été souvent exorcisée depuis trente ans, par l’ordre des supérieurs je l’exorcisai aussi, en grec », précise-t-il7. Surtout il s’entretint longuement avec elle et fit appel à sa prière8 ». Bien d’autres spirituels avaient eu à connaître Marie des Vallées, et assez longtemps avant Jean Eudes : deux jésuites,
3 Charles Berthelot du Chesnay, Les missions de saint Jean Eudes. Contribution à l’histoire des missions en France au XVII° siècle, Paris 1967, p. 250.
4 Paul Milcent, Saint Jean Eudes, Un artisan du renouveau chrétien au XVII° siècle, Histoire, Ed. du Cerf, Paris, 1992, 2° ed., p. 47
5 Œuvres complètes, publiés par J. Dauphin et C. Lebrun, 12 tomes, Vannes et Paris 1901-1911, ici t. XII, p. 112. Abrégé désormais en O.C., XII, p. 112.
6 Un artisan du renouveau chrétien…, op. cit., p. 98. Du même auteur, la dernière mise au point en 1994 dans « Vallées, Marie des », Dictionnaire de Spiritualité…, t. XVI, col. 207-212.
7 Ms de Québec, f° 7. Cf. infra.
8 P. Milcent, Un artisan du renouveau…, p. 98
le P. Coton en 1625 et le P. Saint Jure, un religieux du tiers-ordre de saint François, le P. Chrysostome de St-Lo, et quelques autres. Depuis plus de quinze ans, Marie était au service de deux prêtres, dans une maison proche de la cathédrale. Elle allait souvent prier à la Cathédrale, et spécialement à la Chapelle de Notre-Dame du Puits9. Le P. Eudes n’hésita pas à la consulter sur les projets apostoliques qui prendront naissance dans les années suivantes. S’il revient à Saint-Lô pour une mission en septembre octobre 1642, à Saint-Sauveur le Vicomte en juin juillet 1643, « il se rend à Montmartin-en-Graignes, avec Marie des Vallées »10. Il passe de nouveau à Coutances en septembre 1643, pour obtenir des lettres tant du vicaire général le Pileur, que de l’évêque, pour la société de prêtres qu’il venait de fonder à Caen. Mais c’est du 15 février au 5 avril 1644 qu’il prêche le Carême à la Cathédrale de Coutances, logeant chez Pierre Potier, l’un des prêtres que sert Marie des Vallées. La prédication d’un carême était, dit-on, plus lucrative que celle d’une mission. Dans l’éloge que firent du P. Eudes certains ecclésiastiques, on note qu’ils « étaient extrêmement touchés de voir cet homme de Dieu, qui aurait pu par des stations11 lucratives obtenir tout ce qu’il aurait voulu et amasser du bien, passer la meilleure partie de sa vie au pénible travail des missions ». Propos vraisemblables, note Charles Berthelot du Chesnay, quand on sait que le P. Paul Texier, un jésuite, après un Carême à la Cour, reçut trois mille livres…que vers 1671, à Rouen, l’archevêque versait « sur le revenu de son archevêché » pour les stations de la cathédrale, 240 livres au prédicateur de l’avent, et 360 au prédicateur de carême, soit une somme supérieure, pour ce seul carême, à la portion congrue d’un curé pendant toute une année12. Ce carême fut l’occasion de voir Marie des Vallées et « c’était sans doute une des raisons de ce long séjour à Coutances » écrit Paul Milcent13. Est-ce bien sûr ? Nous pourrions ainsi suivre tout au long les quinze dernières années de la vie de Marie jusqu’à sa mort en 1656, assistée du Père Eudes.
Or, nous avons l’écho de ces rencontres par deux livres de saint Jean Eudes rédigés, semble-t-il, du vivant même de Marie des Vallées, utilisés par E. Dermenghem, mais n’ayant pas encore fait l’objet d’une édition critique : La vie admirable de Marie des Vallées et les choses prodigieuses qui se sont passées en elle, en 10 livres, rédigée en 165514, et l’Abrégé
9 C’est le lieu de sa sépulture depuis 1919.
10 Charles BERTHELOT DU CHESNAY, Les missions de saint Jean Eudes. Op. cit, offre aux pp. 247-300 une chronologie très détaillée de la vie de saint Jean Eudes. Ici, p. 257.
11 Entendons par stations, la prédication de l’avent ou du carême.
12 Charles BERTHELOT DU CHESNAY, Les missions de saint Jean Eudes. Op.cit., p. 26-27.
13 Paul MILCENT, Un artisan du renouveau chrétien…, Op. cit., p. 147.
14 La copie la plus authentique est le fameux manuscrit de Québec, cf. infra.
de la vie et de l’état de Marie des Vallées…, ms 68 de la bibliothèque municipale de Cherbourg15. Gaston de Renty a laissé lui aussi son propre témoignage : Mémoire d’une admirable conduite de Dieu sur une âme particulière appelée Marie des Vallées, ms 3177 de la bibliothèque Mazarine.
Il n’est pas question de reprendre ici tout le dossier de ces rencontres et de l’influence de Marie des Vallées sur Jean Eudes. Il a fait l’objet d’appréciations polémiques du vivant même de saint Jean Eudes et bien après. Dès 1660, éconduit de la chapelle des Ursulines de Caen, proche de l’Ermitage peu après la mort de Jean de Bernières, Charles du Four publia un Mémoire pour faire connaître l’esprit et la conduite de la compagnie établie dans la ville de Caen, appelée l’Ermitage, où le P. Eudes était mis en cause. Bien plus, en 1674 le même du Four publia sous le couvert de l’anonymat une Lettre à un Docteur de Sorbonne… sur le sujet de plusieurs écrits composés de la vie et de l’état de Marie des Vallées du diocèse de Coutances. « Jean Eudes y était directement attaqué et présenté comme un visionnaire dangereux, coupable de « treize hérésies ». Confondant le souvenir de Marie des Vallées et la vénération du Cœur de Marie, on affirmait que le P. Eudes faisait rendre à la voyante de Coutances un culte liturgique comme à un « messie femelle »… Elle est devenue une personne divine qu’on doit adorer […] et qui aura ses apôtres, ses disciples, ses évangélistes…Des accusations tellement démesurées que l’on s’étonne des remous que provoquèrent ces énormités », remarque Paul Milcent16. Le P. Eudes y fait lui-même allusion dans une lettre de janvier 1675 :
« C’est une chose étrange de dire et de croire que des prêtres, qui font profession de vivre en la crainte de Dieu, soient si aveugles, si insensés, et dans une impiété si détestable, que de dire des prières et des salutations, de faire un office particulier, et de célébrer des messes et des fêtes pour honorer le cœur d’une pauvre fille morte depuis dix ans17, qui n’est ni canonisée, ni béatifiée, ni quoi que ce soit. Ne voit-on pas que toutes les paroles de la salutation18, toutes les antiennes, répons et hymnes, et les leçons de l’office et de la Messe s’adressent au Cœur de la sainte Vierge ?
C’est une calomnie très fausse et très noire, que cette bonne fille fût sorcière, et qu’elle ait été condamnée comme telle par arrêt du Parlement.
Toutes les autres choses qui sont dans votre lettre sont aussi très fausses, dont on a farci un libelle diffamatoire qu’on a fait contre moi, qui est plein de choses
15 Une édition sobrement annotée des textes de saint Jean Eudes concernant Marie des Vallées vient de paraître : La vie admirable de Marie des Vallées et son abrégé, rédigés par saint Jean Eudes, suivis des conseils d’une grande servante de Dieu, Textes présentés et édités par Dominique TRONC et Joseph RACAPE, cjm, « Sources Mystiques », Centre Saint-Jean-de-le-Croix, Mers-sur-Indre 2013, 696 p.
16 Un artisan du renouveau chrétien, Op. cit., p. 490.
17 L’annaliste observe qu’il y a là une erreur ; il y avait, en effet, près de 20 ans que Marie des Vallées était décédée. Sur quoi le bon P. Costil ajoute que la lettre qu’on lui avait envoyée n’était pas de la main du P. Eudes. Ce n’était sans doute qu’une copie, ce qui explique l’erreur commise.
18 Ave Maria, Filia Dei Patris, disent les Annales, dans une parenthèse explicative
tirées des écrits que j’ai faits de la vie de cette bonne fille. Mais on en a usé comme les huguenots font des livres qui se font par les catholiques sur les points controversés, prenant seulement les objections, et laissant les réponses à part. Ainsi l’auteur de ce libelle a pris ce qu’il y a de difficile et qui peut choquer, dans la lecture de ces écrits touchant la Sœur Marie, sans y ajouter les éclaircissements que j’y ai donnés. Outre cela, il a encore inséré plusieurs choses ridicules, qu’il a prises en d’autres écrits que je n’ai pas faits… »19
« Les paroles… s’adressent au Cœur de la Sainte Vierge. Nous voulons donc maintenant centrer notre propos sur la maturation de la prière liturgique dédiée au Cœur de Marie à Coutances, et la participation de Marie des Vallées à ce cheminement du P. Eudes20, ce qui aurait pu donner matière aux confusions dénoncées par Charles du Four et réfutées par la lettre du P. Eudes. A l’occasion d’échanges et de controverses jusqu’au milieu du XX° siècle, cette question a été beaucoup étudiée, et pas seulement par des auteurs eudistes21. Dans son premier manuel de vie chrétienne publiée en 1637, la même année que Le Cid de Pierre Corneille, La Vie et le Royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes, le P. Eudes n’emploie pas encore le langage du Cœur. La vie chrétienne, c’est répondre au « désir qu’a Jésus de nous faire participer à ses vertus, états et mystères, pour Le former en nous, comme Marie a le pouvoir de le former en nous. Or cette entreprise suppose l’amour du Seigneur et de sa Mère sollicitant notre réponse d’amour et la rendant possible »22. Est-il possible de faire pour Coutances la recherche conduite pour Evreux par Nicolas Trotin23 ? C’est-à-dire de faire appel aux lumières croisées de l’histoire liturgique et de l’euchologie entendue à la fois comme la science des prières et des lois qui gouvernent leur formulation et comme l’ensemble des prières contenues dans un formulaire liturgique. L’ouvrage de référence est ici le vol. IX des Œuvres complètes qui contient les Offices dressés en l’honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ, de sa Très Sainte Mère…etc. L’office du Saint Cœur de Marie a droit à une copieuse introduction (p. 147-163), et aux textes de la fête et de son octave (p. 251-317).
19 O.C., t. IX, p. 112-113.
20 Cf. La vie admirable…, ed. D. TRONC-J. RACAPE, p. 379-381
21 Parmi ces derniers, notons particulièrement Jacques ARRAGAIN, La dévotion eudiste au Saint Cœur de Marie dans la spiritualité de l’Ecole Française, Le saint Cœur de Marie, Cahiers Eudistes de Notre Vie 2, Paris 1948, p. 41-65 ; Le Cœur du Seigneur, Ed. La Colombe, Paris 1956 ; Saint Jean Eudes et le Cœur du Christ, dans R. DARRICAU – B. PEYROUS, Sainte Marguerite Marie et le message de Paray-le-Monial, Desclée, Paris 1993, p. 133-169 ; La spiritualité eudiste du Cœur du Christ, ses intuitions théologiques, sa pertinence, Ed. de l’Emmanuel, Paris 1998, p. 17-35, et un théologien trop tôt disparu, Joseph CAILLOT (1948-2003), Saint Jean Eudes, un itinéraire spirituel vers le Cœur de Jésus, La Spiritualité du Cœur du Christ, une dynamique de vie face aux défis de demain, Filles de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus, La Salle de Vihiers, 1996, p. 35-56. Pour une vision d’ensemble, voir Edouard GLOTIN, La Bible du Cœur de Jésus, Préface du cardinal C. Schönborn, Presses de la Renaissance, Paris 2007, spéc. p. 523-556.
22J. ARRAGAIN, La spiritualité eudiste…, art.cit., p. 18-19.
23Nicolas TROTIN, Un mémorial des missions ébroïciennes de saint Jean Eudes : l’office du Cœur de Marie (1667), Connaissance de l’Eure, n° 154, 2009, p. 27-38.
Pour célébrer le tricentenaire de la première célébration publique à Autun le 8 février 1648, Henri Macé a fait le bilan des formulaires des messes en trois siècles24. Grâce à l’obligeance et la serviabilité de M. Yves Le Petit, les recherches conduites tant à la bibliothèque diocésaine de Coutances qu’aux Archives départementales de La Manche à St-Lo, ont pu établir les données suivantes :
- Le Missel imprimé à Paris sous l’autorité de l’évêque de Coutances Charles –François Loménie de Brienne en 1677 et conservé à St-Lo ne comporte pas de messes du Saint-Cœur de Marie. Trente ans après la célébration d’Autun ; mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas eu des feuillets volants, comme à Evreux.
- Le Graduel de Coutances, imprimé à Cherbourg en 1687 comprend les textes eudistes le 8 février. (OC, XI, 312-317) y compris la séquence Laetabunda canant pie. Il est conservé à la bibliothèque diocésaine de Coutances, fonds ancien, cote A 1855. .Le privilège royal concédé le 14 février 1677 à l’évêque de Coutances est reproduit et concédé à l’imprimeur en 1683. « Achevé d’imprimer le 1 février 1687 ».
- Les mêmes textes eudistes sont attestés par le Missel promulgué par Mgr Gouyon de Matignon en 1729 et imprimé à Coutances (BN, B 235 ; Bibliothèque diocésaine de Coutances C 255) et figurent à la fin du missel « entre les proses ad libitum et les chants des deux Passions ».
- Les textes eudistes sont encore attestés « le dernier dimanche après l’épiphanie » dans le Paroissien romain… à l’usage du diocèse de Coutances et Avranches de 1895, sous l’épiscopat de Mgr Abel-Anastase Germain25. Ces textes proviennent sans doute de l’office approuvé en 1855 par la Congrégation des Rites. Avant cette date, l’autorisation de célébrer une messe du Saint Cœur de Marie était donnée en utilisant les formulaires de la messe de Notre-Dame des Neiges26.
- Trente ans plus tard, le Paroissien latin-français selon le rite romain avec les offices propres au diocèse de Coutances27porte la fête du Très Pur Cœur de Marie, double de 2° classe, au lendemain de la fête du Sacré-Cœur aux pp. 489-495.
24 Henri MACE, La liturgie du Cœur de Marie, Le saint Cœur de Marie dans la spiritualité eudiste , Cahiers Eudistes de Notre Vie 2, Paris 1948, p. 75-83
25 Ch. Daireaux, Imprimeur-Libraire, 948 p. + 1*-194* comprenant les communs.
26 Cf. L. BARBE, Catholicisme, 2, col. 1285.
27 Publié par l’Imprimerie Notre-Dame « par ordre de Mgr Théophile-Marie Louvard », 1933 (la table des temps et fêtes mobiles couvre la période 1934-1952).
- En 1944 Pie XII institua la fête du Cœur de Marie le 22 août, dans l’octave de l’Assomption. Revenue en 1969 au lendemain de la fête du Sacré-Cœur comme mémoire facultative, elle bénéficie désormais du statut de mémoire obligatoire depuis le 1° janvier 1996.
Ce petit parcours demande un commentaire : nous nous en sommes tenus aux textes utilisés par les missels diocésains de Coutances, pour constater qu’à la fin du XVII° siècle les textes eudistes étaient attestés dans la prière officielle du diocèse ; Or nous savons que dès 1643 – deux ans après la première rencontre avec Marie des Vallées, dans la communauté de ses compagnons, sans doute le 20 octobre est célébrée une fête du Cœur de Jésus et Marie28. En 1646, on peut lire dans le journal d’un des premiers eudistes, M. Finel : « Le samedi, vingtième jour d’octobre, jour et fête du Très Saint Cœur de Marie, à Lion-sur-mer proche de La Délivrande… »29. La première célébration publique aura lieu le 8 février 1648 à Autun, au terme des exercices de la mission qu’il venait de prêcher. Et en 1670, le 20 octobre deviendra la solennité du Divin Cœur de Jésus. C’est bien cet itinéraire que le titre de « père, docteur, et apôtre du culte liturgiques des SS. Cœurs de Jésus et Marie », décerné par Léon XIII et Pie X sanctionne.
Il est temps de conclure. En 1950 Emile Dermenghem écrivait :
« Ce qui est moins facile à préciser (dans l’institution de la fête du Sacré-Cœur), c’est sous quelles influences et quelles inspirations agit sans Jean Eudes, non sine divino afflatu, dit le bref du 6 janvier 1903. S’agirait-il des révélations de Marie des Vallées, la sainte de Coutances, dont il fit la connaissance en 1641, et qui eut sur lui une incontestable influence, inspiratrice ou catalysatrice. Des auteurs, comme le P. Le Doré, pensent que le rôle de Marie des Vallées à cet égard fut capital et décisif. D’autres comme Adam, Boulay, l’éditeur des Œuvres Complètes du P. Eudes (= C. Lebrun], le jugent important ; la tendance actuelle des écrivains eudistes semble de le réduire et de laisser les initiatives au saint. J’avais moi-même penché pour le premier point de vue. Je dois reconnaître que les preuves mathématiques font défaut. Peut-être même convient-il que les choses ne soient pas absolument éclaircies ; peut-être même est-il impossible de discerner dans une collaboration spirituelle ce qui appartient en propre à telle ou telle individualité, vu qu’en ce domaine ce qu’a de mieux a faire l’individualité est de disparaître aussi complètement que possible. Il n’en reste pas moins un faisceau de présomptions qui portent à croire que le rôle de Marie des Vallées fut considérable et les choses s’expliquent mieux en le soulignant qu’en le minimisant »30.
Peut-on qualifier d’inspiration divine la communication de Marie des Vallées ?
28 J. MARTINE, Vie du P. Eudes, livre 8, n. 35
29 Annales, livre 2, note 29. Cf. OC ; XI, 148-149.
30 Le Cœur, Etudes Carmélitaines, Paris 1950, DDB, p. 225
Les écrivains contemporains qui se sont intéressés à notre héroïne me semblent avoir un jugement équilibré. Je voudrais terminer en citant l’un des derniers, Claude Louis-Combet dans un texte écrit en 2000 et repris en 2008 :
« Avec la rencontre du P. Eudes, au fil de l’amitié qui se développe et prend le sens d’une coopération efficace dans les œuvres de la vie, un processus remarquable de libération par la parole se fait jour chez Marie. En présence de ce tiers attentif, réceptif, chaleureux, respectueux, Marie est amenée à remonter dans son histoire, à ranimer ses souvenirs, à revivre ses expériences anciennes. Elle s’applique à discerner dans la nébuleuse de tous les mots, ce qui est d’elle-même, ce qui vient de Dieu, ce qui est suggestion de l’enfer. Elle trie, elle décante, ellerassemble et elle écarte, elle se repère, elle se construit »31
« Pendant les quinze dernières années de sa vie, sous la conduite et dans l’affection du P. Eudes, Marie apprend à se reconnaître, non pour reconquérir son territoire d’amour-propre, mais pour apprécier à quel point l’amour de Dieu l’a ruinée, saccagée, anéantie – lui accordant toutefois pour signe de reconnaissance en ce bas-monde, de peser de son poids modeste mais sensible sur les entreprises spirituelles de son temps dans son minuscule canton de Normandie. C’est ainsi qu’elle n’a pas échappée à l’histoire »32.
Revenant sur le début des relations entre saint Jean Eudes et Marie des Vallées, Claude Louis-Combet écrit :
En 1641 « Marie avait cinquante et un ans et Jean Eudes quarante. La relation s’établit d’emblée, ne cessa de s’approfondir jusqu’à la mort de Marie en 1656 et eut, pour chacun d’eux, une importance absolument essentielle, décisive pour les personnes, fondamentale pour le sens de leur expérience. Le prêtre inquiet et indécis trouva la certitude de ses objectifs et la force de les accomplir jusqu’au bout. La femme, le plus souvent prostrée dans le silence et proie, au fond d’elle-même, de voix discordantes, découvrir, par l’opération soutenue du dialogue et de la confidence, le chemin de son unité intérieure. Chacun éclairait l’autre de la plus lumineuse façon : Marie montrant à Jean Eudes les directions que devait prendre son action, le prêtre amenant la femme à la conscience de ce qu’elle était et à l’assurance dans la paix de l’âme. La guérison ne vint pas de l’exorcisme, mais de l’amitié »33Ce sera notre conclusion. Je vous remercie de votre patience.
Daniel DORE, cjm.
31 Claude LOUIS-COMBET, Des égarées. Portraits de femmes mystiques du XVII° siècle français, Grenoble, Jérôme Million 2008, p. 57
32 Ibidem, p. 58
33 Ibidem, p. 55
Marie des Vallées.
Présentation.
Au cœur de la grande guerre, en 1916 deux brefs articles intitulés « Marie des Vallées, la sainte de Coutances (1590-1656) » appelait l’attention des lecteurs de la semaine religieuse de ce diocèse. En une douzaine de pages, le chanoine Lelièvre retraçait la vie et le portrait spirituel de la mystique, sans taire toutefois les oppositions rencontrées et concluait ainsi sonpanégyrique : « les fils du bienheureux Jean Eudes ne doivent-ils pas à leur Père de ressusciter le souvenir de l’auxiliaire vénérable que la Providence lui fournit ? Les diocésains de Coutances ne s’empresseraient-ils pas de contribuer à la glorification de la prédestinée qui leur a procuré l’honneur insigne des premières manifestations du Très Pur Cœur de Marie et du Divin Cœur de Jésus ». (SRCA, 1916, 700)
Trois ans plus tard la même publication annonçait l’exhumation de Marie des Vallées de la chapelle du Séminaire devenue « chapelle du Lycée, avec une destination toute privée et toute spéciale » et sa nouvelle inhumation à la Cathédrale : « C’est sous l’arcade de la cathédrale qui sépare la chapelle du Puits et celle du Sacré-Cœur que Monseigneur a fixé l’emplacement de la nouvelle tombe de Marie des Vallées » (SRCA, 1919, p. 408-409 et 637-638).
Or la publication des Œuvres Complètes (1901-1911) de saint Jean Eudes, mise en œuvre à l’occasion des procès de béatification et canonisation à laissé de côté pour diverses raisons un de ses écrits connus mais jamais édités : la vie admirable de Marie des Vallées et des choses admirables qui se sont passées en elle. Sans doute parce que l’établissement du texte pose encore aujourd’hui à la critique des questions non résolues. En effet, écrit P. Milcent, « on n’a plus le texte intégral de cet ouvrage ». (op. cit., p. 152, note 12). Certes, le P. Ange Le Doré, supérieur général venait de rapporter de Québec un manuscrit sans doute emporté trois siècles auparavant par Mgr de Montmorency-Laval ; Mais nous n’avons là « que de très larges extraits des dix premiers livres, selon une première rédaction que Jean Eudes a remaniée par la suite ».
Pour marquer le centenaire de l’édition des Œuvres Complètes de saint Jean Eudes, il a paru bon de procurer une édition annotée des textes émanant de saint Jean Eudes et de ses amis concernant Marie des Vallées. A la suite du chanoine Lelièvre et d’Emile Dermenghem, les fils de saint Jean Eudes, Charles Lebrun, Charles Berthelot du Chesnay, Jacques Arragain et Paul Milcent n’ont pas délaissé Marie des Vallées. Grâce à eux et quelques autres, elle a sa place dans les grands dictionnaires comme l’Encyclopaedia Universalis (Thesaurus, LR, 2186-2187), le Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique ( t. XVI, 1992, 207-212, ou Catholicisme (VIII, 655-656 ; XVII, Tables, 196). Elle mérite mieux que d’être classée trop rapidement dans l’ésotérisme.
Editeur d’un certain nombre de textes mystiques du XVII° siècle, parmi lesquels Jean de Bernières et Jacques Bertot parmi les normands, Fénélon et Madame Guyon, Monsieur Dominique Tronc a bien voulu se charger de transcrire le manuscrit de Québec, en se fiant à la copie du chanoine Lelièvre. Il s’est avéré que le chanoine travaillait sur des copies de seconde main, et donc que son œuvre était trop fautive. Avec l’aide du père Joseph Racapé, archiviste de la Congrégation, l’ensemble a été repris sur le manuscrit lui-même et annoté le plus soigneusement possible. L’édition nouvelle comprend donc :
- La vie admirable de Marie des Vallées et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle, selon le manuscrit dit de Québec. p. 33-574
- L’Abrégé de la vie et de l’état de Marie des Vallées, selon les manuscrits 68 de la B.M. de Cherbourg, le ms Hohendorf[f] 6980 de la BN de Vienne, (Autriche), p. 575-643
- Les conseils d’une grande servante de Dieu, p.645-663, publié dans un recueil mystique : Le Directeur mystique ou les œuvres spirituelles de Monsr.Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières &directeur de Mad. Guion…, 4 vol., A Cologne [Amsterdam], 1725, ici vol. II, p. 406-430.
L’accès aux textes permettra aux spirituels, aux historiens et aux théologiens de reprendre à nouveaux frais l’étrange destinée de Marie des Vallées et de mieux cerner la figure de la « sainte de Coutances » au milieu de tant de personnages spirituels de tout premier plan aussi bien dans le milieu normand que dans les premiers pas de l’Eglise au Canada.
DANIEL DORE, CJM
Bibliographie sélective
I. – Manuscrits
a) aux Archives des Eudistes
Manuscrit de Québec (désigné ici par Q), copie partielle ; première rédaction de la Vie admirable de Marie des Vallées (en 10 livres sur 12) rédigée par Jean Eudes en 1655.
b) A la Bibliothèque Nationale de Paris.
- ms 11.942, 11.943, 11,944 : ample résumé de la rédaction définitive de la Vie admirable … (en 12 livres), fait par un moine de l’abbaye de Barbery, adversaire de Jean Eudes.
- ms 11.949 : Observations de M. Le Pileur (favorable) sur Marie des Vallées.
- ms 11.950 : copie partielle de la rédaction définitive de la Vie admirable…(en 12 livres) par une main amie.
- Ms 14.562 et 14.563 : Mémoire de M. de Launay-Hue, en faveur du P. Eudes
c) A la Bibliothèque Mazarine.
Ms 3177, Mémoire d’une admirable conduite de Dieu…, dit Manuscrit Renty et dont la première partie semble avoir été rédigée par Gaston de Renty.
d) A la Bibliothèque municipale de Cherbourg.
Ms 68 ; Abrégé de la vie et de l’état de Marie des Vallées… dit manuscrit de Cherbourg. [Réflexion théologique du P. Eudes]
e) A la Bibliothèque Nationale de Vienne (Autriche) :
Abrégé de la vie et état de Marie des Vallées. [Réflexion théologique du P. Eudes]. Ms Hohendorff 6980.
II – Sources Imprimées.
- Jean-Louis ADAM, Le Mysticisme à la Renaissance, ou Marie des Vallées, dite la Sainte de Coutances, Paris, Poussielgue, 1894, 409 p.
- Henri BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux…, Paris, Bloud et Gay, 1920, p. 602-628.
- Emile DERMENGHEM, La vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, d’après des textes inédits. Paris, Plon, 1926, 326 p.
- Emile DERMENGHEM, RHEF, 13, 1927, p. 377-379. = recension du Saint Jean Eudes… d’E. Georges, et réponse au P. Lebrun,
- Emile DERMENGHEM, Saint Jean Eudes et Marie des Vallées, Le Cœur, Etudes Carmélitaines, Desclée de Brouwer 1950, p. 224-227
- Charles BERTHELOT DU CHESNAY, « Quelques questions relatives à Marie des Vallées », Notre Vie, 6, 1956-1957, (janvier-février), p. 7-14.
- Irmgard HAUSMANN, Marie des Vallées, Sühnopfer fûr die Zeit der grossen Bekherung, Gröbenzel bei München, 1968, 1971 ; tr. fr. : Marie des Vallées, âme expiatrice pour le temps de la conversion générale, Résiac, 1992.
- Paul MILCENT, « Jean Eudes (saint) », Dictionnaire de Spiritualité, t. 8, col. 488-501. [1974]
- Jean SEGUY, « D’une jacquerie à une congrégation religieuse. Autour des origines eudistes… », Archives des Sciences Sociales des Religions, 52/1, 1981, p.37-67
- Jean SEGUY, « Millénarisme et « ordres adventistes », Grignion de Montfort et les Apôtres des derniers temps », Archives des Sciences Sociales des religions, 53/1, 1982, p. 23-48
- Paul MILCENT, Un artisan du renouveau chrétien au XVII° siècle, saint Jean Eudes, Paris, Ed. du Cerf, 1985, 589 p.
- Paul MILCENT, « Vallées, Marie des », Dictionnaire de Spiritualité, t. 16, col. 207-212. [1994].
- Jean-Noël VUARNET, Le Dieu des femmes, Paris, L’herne, 1989, p. 29-44.
- Marikka DEVOUCOUX, L’œuvre de Dieu en Marie des Vallées, F.-X. de Guibert-ŒIL, Paris 2000, 400 p. [cf. H. Macé, Cahiers Eudistes 21, 2002, p. 227-236].
- Pierre DAUGUET, Marie des Vallées (1590-1656), Vie Eudiste, 58, 2006, p. 52-56.
- Claude LOUIS-COMBET, Des Egarées. Portraits de femmes mystiques du XVII° siècle français, Grenoble, Jérome Million, 2008, 208 p. spéc. p. 33-59.
- Antoinette GIMARET, « La réception ambiguë d’une figure mystique au XVIIe siècle : le « cas » Marie des Vallées », Revue de l’histoire des religions, 3 | 2012, 375-402.
- [JEAN EUDES (saint)], La vie admirable de Marie des Vallées et son Abrégé, rédigés par saint Jean Eudes, suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Textes présentés et édités par Dominique TRONC et Joseph RACAPE, cjm, Sources Mystiques, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Mers-sur-Indre, 2013, 696 p.